L’EXÉCUTION SOMMAIRE DU JEUNE NAHEL À NANTERRE… ET SES SUITES

Mardi 27 juin au matin, un jeune homme de dix-sept ans a été exécuté par un brigadier-motard « excellemment noté » du conseil territorial de la sécurité routière du 92. Même si certains cherchent à dédouaner le policier, et que certains détails sont encore à éclaircir, les faits principaux sont établis : le policier a tué Nahel à bout portant alors qu’il n’était aucunement menacé. Il s’agit donc d’un meurtre. Son collègue n’a par ailleurs à aucun moment cherché à l’empêcher de commettre l’irréparable ou à montrer sa désapprobation. Ce qui reste encore à établir est le degré de préméditation à ce geste. Une fois encore de tels agissements, lors d’une intervention policière dans un quartier dit « populaire », viennent endeuiller toute une famille et tout un quartier.

À travers tout le pays les images insoutenables de ce meurtre ont suscité un sentiment bien légitime d’écœurement, de colère et de révolte. Certains médias mainstream se sont précipités (toujours à chaud, parfois sans aucune vérification) pour salir la mémoire de la victime. Pour ces médias, son éventuel casier judiciaire aurait permis de « justifier » ce qui s’apparente clairement à une exécution sommaire.

Lors de l’adoption de l’article L435-1 (loi de 2017), de nombreuses voix s’étaient élevées pour pointer le risque d’un usage inconsidéré des armes à feu. Il y a peu, c’est un ancien diplomate et ancien préfet en personne qui déclarait : « Tout ça va mal finir ». Malheureusement c’était prémonitoire. Six ans plus tard, cette loi est parfois qualifiée de « permis de tuer ».

Au printemps 2017, Macron en était à dire : « Pour expliquer les violences policières il n’y a pas de bon argument […] il n’y a pas d’autorité de l’État dans les quartiers s’il n’y a pas une autorité dans l’État […] dès qu’il y a une bavure, il doit y avoir une réponse et une sanction […] elle est hiérarchique […] ce n’est pas possible quand il y a eu une violence policière qu’il n’y ait aucune sanction dans la hiérarchie policière […] yc commissaire de police, directeur départemental de la sécurité publique, préfet, ministre ». C’était le temps où Macron ne s’interdisait pas d’employer le terme de “violences policières”.

Bien triste comédie : 18 mois plus tard (début des Gilets Jaunes), et 6 mois après les affaires Benalla/Macron, on connaissait déjà la suite. D’ailleurs le fait qu’en 2017 Macron parlait de simples « bavures » en disait déjà long. Non seulement ce genre d’effets de manche est évidemment resté lettre morte, mais pire encore : on constate de plus en plus d’exactions policières, de moins en moins de sanctions, et ainsi de suite… Tout ça est parfaitement documenté (par exemple ici).

Des violences et morts vite tombés dans l’oubli

De même que pour Zyed et Bouna (révolte de 2005), de même que pour Rémi (Sivens, 2014) : qui sait et qui se soucie des suites données pour la mort de Steve, pour la mort de Cédric, pour la mort de Zineb ? Qu’en est-il d’Adama, de Théo, de Michel, de Lamine, d’Alhoussein, et de tant d’autres ? Qui se soucie encore du sort de Serge ? (Sainte Soline, avril 2023). Là aussi ces drames sont déjà tombés dans l’oubli.

Et là non plus aucune véritable sanction n’aura été prise contre qui que ce soit. Et encore moins concernant la chaîne dite « de commandement ». Au « mieux » une petite sanction administrative (blâme, suspension ou congés forcés de 6 mois, petite mutation à « Châlons sur Marne » etc.). Et au pénal strictement rien de tangible, ou au pire 3 ou 6 mois avec sursis.

Ces violences policières ne cessent jamais, même si parfois elles percent le silence médiatique. C’est toujours le même topo : c’est l’émoi et ça défraie la chronique durant quelque temps, y compris dans les médias mainstream. Et puis plus rien. Et quelques années plus tard on apprend de façon un peu fortuite et dans une relative indifférence (grâce à certains médias indépendants) que ces agents des forces de l’ordre ont bénéficié d’un non-lieu.

Ce n’est donc pas seulement que ces violences policières sont devenues systémiques. C’est aussi que les non-suites ou quasi sont elles aussi devenues systémiques. Le climat d’impunité policière s’enracine alors et s’en trouve pour ainsi dire institutionnalisée. Voire par exemple cette triste tentative de recensement ici.

Ces deux dernières années, ce sont ainsi 22 personnes qui auront perdu la vie lors de « contrôles routiers ». Rien qu’en 2022, c’est le cas de 13 d’entre elles. Au sein des pays de l’U.E, le cas de l’État français est tout simplement un cas unique. L’usage des armes à feu dans la police ne cesse d’augmenter. Depuis 2017, le nombre de tirs sur personnes augmente (en dépit des vaines dénégations du dénommé Darmanin). Depuis 2020, le nombre de morts a ainsi été multiplié par deux.

De nombreuses dénonciations des violences policières par des institutions nationales et internationales

L’État français se voit désormais tancé non plus seulement par la défenseure des droits, par la contrôleuse des lieux de détention, par la CEDH et par toutes les associations et ONG de défense des droits humains, mais aussi par le Conseil de l’Europe et par l’ONU (comme encore ce 30/6, s’agissant très précisément de la violence disproportionnée et du racisme systémique au sein de la police française, et concernant même « les méthodes de profilage racial » dont elle fait usage [sic]). Mais une fois de plus ces constats auront été évacués d’un simple revers de manche par les autorités françaises, notamment par Darmanin en personne. Quant au « silence-radio » assourdissant de Macron, ça ne vaut évidemment pas mieux.

Les mensonges éhontés que certain·e·s ont colportés juste dans la foulée (Police Nationale, certains médias), comme quoi la voiture dans laquelle se trouvait Nahel fonçait sur ce policier, ont très vite été dézingués avec la publication d’une vidéo de la scène. La macronie et Macron en personne auront ainsi été contraints de verser les quelques larmes de crocodile de rigueur qu’on sait.

Puis très vite l’ampleur des révoltes émeutières ainsi déclenchées auront conduit tout ce beau monde à s’en prendre « aux parents » de ces jeunes, dès lors qualifiés « d’irresponsables ». Non sans avoir déployé un dispositif de « maintien de l’ordre » comme on n’en avait sans doute encore jamais vu en pareilles circonstances, pas même en 2005. 45 000 policiers et gendarmes sont déployés depuis plusieurs jours, environ 4 fois plus que lors des plus grosses journées de mobilisation contre la réforme des retraites ou lors de la révolte de 2005.

Opacité, dissimulations, manipulations, omerta : c’est le syndrome de la fuite en avant. Tous les 15 ans ce genre de séquences se reproduit. Et 15 ans plus tard strictement rien n’a été résolu. On en est toujours au même point.

Combien y a-t-il de Nahel dont la mort n’aura pas été filmée ? 

Fin 2020, la première version de leur loi prétendument « sécurité globale » (en fait une loi « Impunité globale pour la police ») donnait interdiction de filmer les forces de l’Ordre. Mais le Conseil d’État aura quand même rejeté de volet-là. Question : si ça n’avait pas été le cas et/ou si cette scène dramatique n’avait tout simplement pas été filmée… qu’en serait-il aujourd’hui de la (prétendue) enquête sur le cas de Nahel ? Qu’en serait-il du discours ainsi dispensé par le Pouvoir ?

D’ailleurs, 15 jours avant Nahel, Alhoussein, 19 ans, a été tué par la police à Angoulême. Un policier avait sa caméra mais oups cette caméra était déchargée et il n’a pas pu filmer la scène. C’est donc la version de la police (dont certaines incohérences ont déjà été pointées du doigt : le jeune homme fuyait la police mais en s’arrêtant au feu rouge et à faible vitesse) contre les paroles d’un mort.

La question n’est donc évidemment pas celle de tel ou tel agent des forces de l’ordre problématique, comme cherche à nous le faire avaler une fois de plus Darmanin. La question c’est bien celle de l’institution policière à prendre dans son ensemble, c’est-à-dire ses modes de « fonctionnement ». Les violences policières, allant jusqu’au meurtre, n’ont jamais cessé dans les quartiers populaires. Les jeunes subissent au quotidien les contrôles au faciès et la banalisation de ces violences. Rien n’a été réglé depuis la révolte de 2005, bien au contraire. Un racisme structurel règne dans la police, rendant possible et banalisant ce type d’agissements contre des jeunes perçus comme des « nuisibles ». Le pouvoir politique porte une énorme responsabilité en ayant laissé le corps policier être gangrené chaque jour davantage par une idéologie nauséabonde. L’impunité persiste et elle croît même sans cesse. Avec une IGPN qui n’est autre que la police nationale elle-même. Les gens ainsi détruits continuent de réclamer « justice », mais de plus en plus nombreux sont celles et ceux qui savent très bien qu’il n’en sera rien. 
Il est donc inévitable que certains crient dorénavant vengeance, et non plus simplement justice.

Désormais, de nombreux observateurs et médias étrangers parlent de « l’impunité policière à la Française ». Dans de très nombreux pays ces images auront tourné en boucle. Comme pour les Gilets Jaunes. Comme pour les manifestations de 2019 contre la réforme des retraites. Comme pour les manifestations de 2023.

Il est temps pour le mouvement ouvrier et progressiste de relever la tête, et de refuser de laisser le terrain libre aux macronistes et à l’extrême-droite. Il faut mettre fin aux violences structurelles qui ciblent une partie de notre jeunesse, racisée et discriminée. Il faut unir l’ensemble de notre camp social (syndiqués, gilets jaunes, jeunes révoltés, etc.) pour obtenir des victoires décisives :

  • abrogation immédiate des dispositions « permis de tuer » de la loi Cazeneuve de 2017, responsable de l’explosion des décès suite à des refus d’obtempérer ;
  • création d’une commission « Vérité et Justice » sur les violences policières ;
  • dépaysement de toute affaire de violence policière ;
  • programme d’action global contre les discriminations (récépissé de contrôle d’identité, etc.) ;
  • interdiction des LBD et des grenades de désencerclement ;
  • obligation effective de l’affichage du RIO ;
  • création d’un service d’enquête indépendant, à l’inverse de ce qu’est l’IGPN.

Nous appelons de nos vœux l’unité politique, syndicale, associative, la plus large pour gagner sur ces revendications. Le retour au calme passe par la justice. Pas de justice, pas de paix : il faut sortir par le haut de cette crise. Des initiatives doivent être prises le plus rapidement possible, par exemple l’appel à des manifestations et des rassemblements faisant converger toutes les composantes de notre camp social. Nous appelons à des marches citoyennes le samedi 8 juillet dans toute la France et les territoires ultra-marins. L’heure est à la lutte, organisée et respectueuse de chaque composante de notre camp social.

6/07/2023
Sud DG