L’évolution de l’organisation informatique à l’Insee a un impact sur tous les travaux, toutes les missions et sur les conditions de travail de chaque agent. L’informatique n’est pas qu’un sujet technique : c’est un élément essentiel pour garantir l’indépendance des productions de l’Insee. Face à une évolution rapide des modes de travail et des technologies, il est nécessaire d’exprimer ce que doit être une informatique au service de la statistique publique. C’est d’abord une informatique qui dispose de ses propres moyens, que ce soit en effectif ou en matériel. C’est également un besoin de coordination entre les différents acteurs : la direction, les services informatiques, les équipes d’informatique locale et les utilisateurs. Ce sont enfin des carrières qui doivent être reconnues.
Parler d’informatique peut en rebuter certain·es, car le sujet est technique. Ces dernières années, les langages, les méthodes se sont multipliés, aboutissant à une distance entre les informaticien·ne·s et les utilisateurs et utilisatrices. Pourtant, l’informatique est l’affaire de tous les agents de l’Insee. Les questions informatiques sont en effet un élément majeur dans l’indépendance de l’Insee.
Face aux évolutions récentes, les sujets informatiques demandent également de nouvelles réponses : Comment répondre aux nouvelles organisations de l’informatique à l’Insee, avec la création de la DSI, le rattachement des services informatiques à un établissement ? Quelles conséquences auront la possible intégration du CSM au sein de la DR Grand-Est et le départ des serveurs informatiques vers des sites mutualisés avec d’autres administrations ? Comment mettre en valeur les parcours informatiques ? L’arrivée d’un nouveau directeur à la DSI est l’occasion de mettre en évidence ce qu’est pour nous une informatique au service de la statistique publique.
Maîtriser l’informatique, une garantie d’indépendance
L’indépendance des moyens informatiques est essentielle pour garantir la sécurité et la confidentialité des données détenues par l’Insee. Le secret statistique et la sécurité des données sont des valeurs déontologiques et éthiques qui ont fait et font toujours partie de son ADN. Pour garantir ces deux principes, il faut avoir la main, la maîtrise de l’ensemble des opérations du travail, de l’amont à l’aval, notamment en ce qui concerne l’informatique.
L’Insee doit avoir la maîtrise du stockage des données, de leur collecte, de leur utilisation, des modalités et des conditions de leur diffusion. À chaque phase de l’organisation du travail, les agents doivent pouvoir assurer la confidentialité et la sécurité des données pour garantir l’indépendance de l’Insee. Le transfert des serveurs de Metz vers des sites mutualisés entre plusieurs administrations entraîne une nouvelle configuration dans laquelle l’Insee ne sera plus seul à prendre les décisions.
Nous demandons à ce que le transfert des serveurs soit assorti de garanties assurant l’indépendance de l’Insee quant à leur propriété et leur gestion.
Les informaticien·es de l’Insee doivent maîtriser le parc applicatif : le fait de garder des développeurs, des développeuses en interne et d’accroître leurs qualifications sont des éléments majeurs pour garantir cette maîtrise. À l’inverse, le nombre important de prestations externes et le recours à des outils spécifiques non maîtrisés peuvent faire courir un risque à l’indépendance de l’Insee.
Nous demandons à ce que les outils libres soient utilisés dès que possible au sein de l’Institut : cela permet d’assurer une indépendance vis-à-vis des solutions propriétaires. Cela nécessite aussi en retour le partage des contributions de l’Insee au libre, afin notamment d’anticiper des difficultés déjà rencontrées sur ce type de logiciel (changement de version…). La mise à disposition des outils libres doit également faire l’objet d’importantes campagnes de formation et d’accompagnement auprès de tous les agents.
L’informatique, une activité locale
L’informatique est nationale mais également locale. L’accompagnement des utilisateurs et utilisatrices est essentiel, et ne peut pas se résumer à des tickets Siamoi. Si la centralisation via Siamoi permet aux Giir et Giil de mieux prioriser leurs tâches, les contacts humains doivent être maintenus. Les enquêtrices et enquêteurs notamment, du fait des particularités de leur matériel et de leur mobilité, doivent pouvoir être accompagnés dans leur utilisation des moyens informatiques. Pendant la crise sanitaire, l’implication des agents de l’informatique en local a permis de doter le maximum de collègues en équipement informatique. Pourtant, dans certaines Giir, les manques d’effectifs sont criants, amenant à certaines périodes les responsables hiérarchiques à diffuser des messages indiquant que certaines demandes ne pourront pas être instruites.
Il est important de conserver une présence en nombre suffisant, dans tous les établissements,afin de répondre aux besoins permanents et aux urgences qui ne manquent pas.
Les questions informatiques sont également liées à celle de la protection des données. Les membres de l’informatique locale, et en particulier le conseiller local de sécurité, doivent pouvoir intervenir pour sensibiliser les agents à la protection des données personnelles et leur indiquer les pratiques à éviter (partage de fichier nominatif sur un serveur partagé, un mopieur ou un calendrier partagé…). Des exemples remontés au DSI d’informations personnelles dans des documents largement accessibles n’ont pour l’instant pas donné lieu à une prise de conscience à la hauteur de l’enjeu.
Nous demandons la mise en place d’outils et de formations concernant la diffusion des données et l’utilisation des serveurs partagés. Nous demandons également la renégociation d’un texte complémentaire sur la sécurité informatique et la protection des données centrée sur l’informatique locale.
Des outils pour répondre à des besoins, construits avec les utilisateurs et les utilisatrices
L’informatique est un outil, à disposition des utilisateurs et utilisatrices. Il est indispensable de les associer plus souvent et plus en amont des différents travaux. Lors des réflexions sur les conceptions d’application, ils et elles sont trop souvent oublié·es. De plus, l’accessibilité des outils est également à mettre au cœur des réflexions lors des travaux informatiques.
De même, lors des changements de technologie sur des applications à destination des agent·es, il est nécessaire d’avoir des échanges préalables avec ces derniers. La concertation passe trop souvent par la hiérarchie, mais fait peu de cas du travail réel. C’est celui-ci qui doit être entendu et pris en compte lors de la conception de nouveaux outils informatiques en y dédiant le temps et les moyens humains nécessaires.
Nous demandons donc une association systématique des utilisateurs et utilisatrices dans les différentes phases de conception des projets. La question technique ne peut pas être un frein à l’appropriation collective de ces outils.
Une activité dans plusieurs sites, qui doit être pilotée
La mise en relation entre les différents services en charge des questions informatiques doit être plus importante : en termes de communication au sein du DSI, en termes d’activités entre plusieurs acteurs (centres de développement, centre d’exploitation, pilotage et services supports). Il est également nécessaire de veiller à ne pas concentrer les activités au sein d’un nombre trop limité de SNDI (service national de développement informatique). De nombreux travaux sont déjà répartis entre sites, avec des affectations mouvantes selon les ressources disponibles. Ces répartitions doivent toutefois répondre à une stratégie globale. Le risque est en effet de voir certaines activités prises en charge majoritairement par les sites informatiques les plus importants, mettant ainsi en danger les sites plus petits. L’expérience des conséquences désastreuses pour les agents de la fermeture/transformation du centre informatique d’Aix doit être gardée à l’esprit pour ne pas être reproduite.
Le travail en commun passe aussi par une bonne information sur les qualifications présentes dans chacun des sites informatiques. Certaines expertises existent parfois dans un service sans que cela soit connu des autres sites. Un besoin de communication et d’entraide est nécessaire.
La nouvelle organisation des SNDI doit également faire l’objet d’un bilan, dans chaque site et au niveau national afin de proposer des améliorations visant à un travail plus collectif. Un lien plus fort et continu doit être maintenu entre l’ensemble des informaticiennes et informaticiens en levant les blocages hiérarchiques et principes organisationnels stériles pour favoriser une communication directe.
Les carrières informatiques, des parcours à mieux reconnaître
Les récentes campagnes de mobilité ont mis en évidence les problèmes d’attractivité des métiers informatiques, au sein de l’Institut mais également dans les administrations publiques. Ceci a notamment été mis en évidence dans le rapport remis au Premier Ministre, « Mission politique publique de la donnée », diffusé fin décembre 2020. Une des recommandations est ainsi rédigée : « Diversifier les parcours des administrateurs et des attachés de l’Insee dans l’ensemble des administrations, au-delà des services statistiques ministériels, et valoriser le travail et la carrière des agents choisissant ces parcours ».
De nombreux agents intègrent l’Insee avec l’ambition de mener une carrière informatique, que ce soit après une formation (Ensai) ou un recrutement extérieur (PEP). Le déroulé de carrière à l’Insee ne permet pas toujours de répondre à cette demande. Dans certains établissements par exemple, les agents sont incitatiés à la mobilité vers d’autres services .
Nous demandons de laisser aux agents qui en font le choix la possibilité d’effectuer toute leur carrière dans la sphère informatique sans impact pour leur avancement et de préserver la diversité des postes informatiques proposés.
Si le parcours informatique est lisible en sortie d’Ensai, avec des postes identifiés, cela n’est pas le cas pour le Cefil : les postes informatiques sont mêlés avec ceux des autres services, contrairement à ce qui existait avant le rattachement des SNDI aux DR.Le Cefil ne proposant que peu de formation spécifique aux agents souhaitant s’orienter vers l’informatique, ces carrières ne sont souvent ouvertes qu’aux agents ayant déjà des connaissances dans le domaine.
Nous demandons qu’une réflexion soit menée sur la formation du Cefil afin qu’elle propose des modules informatiques facilitant la préparation des examens de pupitreur et programmeur et la découverte de la sphère informatique à tous les stagiaires.
La formation continue est également un point essentiel dans le parcours des informaticiens. Les changements de technologie constituent des moments importants dans leur carrière. Il est nécessaire d’être en capacité d’anticiper ces modifications qui demandent des périodes importantes de formation et/ou de tuilage.
Concernant les concours internes, certaines épreuves ne sont pas toujours adaptées aux carrières informatiques. Si des sujets spécifiques existent pour le concours d’attaché principal, ce n’est pas le cas pour ceux de contrôleur principal ou la RAEP de B en A.
Nous demandons donc qu’une réflexion soit menée pour donner aux informaticien·ne·s les mêmes chances de réussite aux concours internes.
L’informatique à l’Insee, une histoire ancienne
La volonté de l’Institut de disposer de sa propre informatique est ancienne et appuyée sur l’argument de disposer de sa propre autonomie. Dès le développement de l’informatique dans le monde du travail, l’Institut a vu l’intérêt à mener ses travaux en utilisant les méthodes informatiques mais surtout en disposant de son propre système.
Ainsi la volonté politique et stratégique a entraîné les décisions de mises en place de Centres Nationaux Informatiques (CNI), dotés d’infrastructures propres, d’octroi de moyens humains et financiers.
L’informatique, au sens large, est donc devenue une mission à part entière qui s’est construite au fil du temps. Récemment, la transformation du secrétariat général à l’informatique en Direction du système informatique (DSI) montre toute la place de ces travaux au sein de l’Institut.
Aujourd’hui, l’informatique est complètement démocratisée à l’Insee. Mais quels sont les moyens affectés à ces missions ? Dans le domaine informatique comme pour tout l’Insee, ils se sont restreints : humains, formation, carrières, compétences. Le recours à la sous-traitance, particulièrement développé dans l’informatique, ne réduit pas le coût final.
La question est donc de savoir si à moyen terme (et long terme) l’Institut a toujours la même ambition et volonté. Peut-il continuer à s’adapter et progresser avec la ferme intention de rester à la pointe et ne pas se laisser enfermer par une logique budgétaire ?
Nous demandons un travail de réflexion poussée de l’ensemble des acteurs avec pour objectif de conserver pour l’Insee la maîtrise de son informatique. Ce n’est pas un sujet réservé à une catégorie de personnel, pas plus qu’à un établissement ou département particulier. C’est l’affaire de tou·te·s et de manière beaucoup plus large que l’ordinateur de chaque agent.
Paris, le 27 avril 2021