En ce mois de mai fais ce qu’il te plaît, la section Sud Occitanie met les petits plats dans les grands et vous propose quelques réflexions (qui a dit « élucubrations » !?) autour d’une thématique qui nous touche tous : le bien-être au travail.
Ça va comment vous en ce moment ?
Depuis plusieurs mois, de nombreuses situations de malêtre nous sont remontées. Ces situations ne sont pas le fait d’agents isolés, mais d’équipes entières qui ne savent comment exprimer leur ras-le-bol général devant les réorganisations à la chaîne, les surcharges de travail qui tendent à devenir la norme et la pression à remplir coûte que coûte des objectifs imposés par le niveau national. À défaut, les arrêts de travail se font plus fréquents, les demandes de mobilité plus nombreuses, espérant que l’herbe soit plus verte ailleurs.
Dans le même temps, ce qui semblait un temps des bruissements de couloir devient carrément assourdissant : « Dis donc, on a des grands chefs en ce moment ? – aucune idée, ils sont peut-être en télétravail – non mais ils doivent être par-là, on a eu le CR du Codir – ah oui tiens maintenant que tu le dis, j’ai vu un membre de la direction passer devant mon bureau – il t’a dit bonjour ? – non il devait juste avoir besoin de sortir imprimer un truc » (ndlr : ces conversations ont vraiment lieu).
Autant les agents peuvent un temps faire face à des coups de pression ponctuels, autant c’est plus difficilement vivable quand la pression devient l’ordinaire, et clairement irrespirable quand on leur donne en plus l’impression que communiquer, c’est passer par Gecodoc.
Du concret que diantre !
Rien de tel que de se mettre à la place des gens pour comprendre leur quotidien. Visualisons une semaine lambda dans la DR, au sein des DEM par exemple, chargées de mener à bien la collecte régionale des enquêtes auprès des ménages. Au niveau national, des objectifs de taux de réponse sont fixés, semaine après semaine, jusqu’à la fin de l’enquête, de X % de réponses la première semaine de l’enquête à Y % à mi-parcours et Z % à la clôture.
Ces objectifs sont transmis à la DR, avec une pression toute particulière car les réponses aux enquêtes auprès des ménages sont en baisse depuis plusieurs années, et les résultats sont de plus particulièrement mauvais en Occitanie pour certaines enquêtes. Ces objectifs (et la pression qui va avec) redescendent ensuite aux responsables de division, puis aux référents managériaux, puis aux enquêteurs. Les équipes en bureau et les enquêteurs sur le terrain organisent alors leur travail pour y répondre.
Comme tout objectif s’accompagne dans notre administration d’un contrôle, le niveau national souhaite un retour régulier. Donc le Codir demande un retour régulier, qui en demande un aux responsables de division, qui en demandent un aux référents managériaux, qui suivent l’avancée des enquêteurs.
Bien évidemment, nous passons sur le ridicule de cet enchaînement d’échelons managériaux et le fait qu’en parallèle les agents des DEM doivent s’accommoder d’une réorganisation loin d’être anodine (celle-ci ajoute d’ailleurs un échelon – certes non-hiérarchique – tout en supprimant un poste de travail). Ce qui est important ici est de voir le ruissellement de la pression, du stress, du haut vers le bas. Ruissellement qui naît de la nécessité d’atteindre des taux de réponses parachutés par le national.
On oublie cependant deux points très importants dans cette logique d’objectif/contrôle :
✔ les taux de réponses sont le fruit du travail d’un humain. Mais à aucun moment le haut ne communique directement avec le bas (ou le moins bas d’ailleurs), dans une optique d’échange sincère, sur la pertinence des objectifs par exemple.
✔ quelle durée accorde-t-on au « vrai » travail ? Non pas celui qui consiste à contrôler, mais celui qui consiste à former, accompagner, dialoguer, aller dans la même direction dans un climat de confiance réciproque ?
Ce mode de fonctionnement qui consiste à placer le respect des indicateurs avant l’humain se transpose à l’ensemble de nos activités. Et quelle satisfaction y trouvons-nous ?
Oui mais bon, c’est comme ça que ça fonctionne
Nous n’y pouvons pas grand-chose, vous direz-vous : nous travaillons au sein d’une administration qui est, historiquement, extrêmement bureaucratique, adepte du « commandement et contrôle », dont les moteurs sont la voie hiérarchique, la prise de décision dans le cadre de processus bien établis, et le contrôle du haut vers le bas. Tous autant que nous sommes, avons un supérieur à qui nous devons rendre des comptes. À un niveau individuel, l’intégralité du déroulé de nos journées est réglementée, nos actions se font en référence à des objectifs chiffrés, et nos aptitudes sont jugées au regard de notre capacité à ne pas sortir du moule et atteindre ces objectifs. Bien évidemment en parallèle, on nous appelle à être « force de proposition », « agiles » et « innovants », difficile quand chacun de nos actes qui sort du cadre doit être dûment justifié (par une note si possible), validé par son responsable, visé par son propre responsable, éventuellement discuté en comité de direction. Autant dire que le jour où l’autorisation d’agir arrive, il est souvent bien tard. Et autant rajouter qu’avant de re-proposer quoi que ce soit, on y réfléchit à deux fois.
C’est bizarre quand même non ? Cette propension qu’on a à tout régenter dans la vie professionnelle, alors même qu’à la maison, un savoir-vivre tacite suffit au bien-être du foyer.
Certains dans le fond râlent : « Non mais attends, le travail c’est pas la maison, si tu ne mets pas de règles, ça va être la porte ouverte à toutes les fenêtres, les gens vont forcément en profiter ».
D’autres enchérissent : « C’est vrai ! Sans règle ni procédure ni objectifs chiffrés, comment veux-tu prendre les salariés dissidents sur le fait ? »
Et bien – scoop !-, l’être humain ne cherche pas à détourner les règles ou tricher, il aime naturellement travailler. Effectivement, une minuscule minorité (3 % d’après la littérature, comptez-vous dans les rangs !) ne joue pas le jeu.
Mais qu’importe la taille du carcan construit, elle trouvera toujours un moyen de le contourner. En revanche, ce carcan s’accompagne d’un coût non négligeable : le désengagement des 97 % restants face à la déshumanisation de leur travail.
Et deuxième scoop ! Impliquer les gens dans les décisions qui touchent directement leur quotidien s’avère bien plus efficace. On ne se motive pas par la magie de la carotte et du bâton, on se motive tout seul comme des grands parce que le cadre de travail instauré nous permet de nous automotiver.
Dans un tel cadre, chaque action elle-même est motivée par la volonté de bien faire son travail.
Fatalité ? Connais pas.
À notre échelle, il n’est pas possible de révolutionner nos innombrables échelons hiérarchiques. En revanche, il est possible de repenser le but de l’encadrement, à tous ses échelons, pour tenter de réintégrer cette humanité et cette fluidité dont nous manquons cruellement.
Manager des femmes, des hommes, cela signifie accepter l’incertain, privilégier les échanges rapides et en direct, discuter collégialement du cadre de travail, se mettre en tête que ceux qui font savent, accepter que les solutions peuvent venir d’eux.
Manager, oui, disons-le, c’est se mettre au service des agents pour qu’ils puissent faire dans les meilleures conditions possibles ce pour quoi ils sont payés. C’est animer (donner de la vie).
Pour se convaincre de l’importance de prendre soin des « ouvriers » (ceux qui font), il suffit de se demander qui sont les créateurs de valeur ajoutée. Imaginez ce qu’il se passerait si le comité de direction arrêtait totalement de travailler pendant un mois. Maintenant, interrogez-vous sur les conséquences d’un arrêt total de travail de toutes les petites mains : les enquêteurs, les gestionnaires, les chargés d’études…
Alors oui, encadrer pour réellement se mettre « au service de », c’est un saut dans le vide : c’est ne plus révoir à un horizon lointain pour se concentrer sur le quotidien, c’est ne plus vouloir longuement réfléchir à une solution parfaite pour préférer agir, peut-être de manière imparfaite, mais immédiatement et en réponse aux circonstances du moment.
Alors ça vous dit, on replace l’humain à sa juste place ? C’est-à-dire non pas comme une ressource (au même titre que nos ordis, logiciels, bureaux…) mais comme une finalité ?
Sud Insee Occitanie